Retour inéluctable

Le quinzième appel adressé aux croyants dans le chapitre de la table servie est tout à fait singulier. Il met chacun de nous devant ses responsabilités, qu’il doit assumer en toute conscience. Dieu dit dans le verset n°107:

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُواْ عَلَيْكُمْ أَنفُسَكُمْ لاَ يَضُرُّكُم مَّن ضَلَّ إِذَا اهْتَدَيْتُمْ
105. Ô croyants! Vous êtes responsables de vous-mêmes! Quiconque s’égare ne vous nuira point si vous, vous prenez la bonne voie.

A la première lecture de ce verset on pourrait être amené à croire que le but de la vie dans la logique de l’Islam est d’être croyant, d’adopter la voie de Dieu et de ne pas se soucier des autres, quand bien même seraient-ils infidèles ! Autrement dit, on pourrait être tentés de comprendre que le fait d’ordonner le convenable et d’interdire le blâmable n’est pas une obligation pour tout un chacun. Seulement pour interpréter le Coran il ne faut surtout pas se fier à sa seule intuition et justement l’interprétation de ce verset a été largement clarifiée par la sunna et les dires des compagnons et des érudits qui les ont suivis, ce qui a permis de le mettre dans le contexte qui lui revient. Ainsi quand Dieu dit : « Vous êtes responsables de vous-mêmes », cela veut dire, prenez garde de tomber dans les pièges de l’infidélité en contractant des actions compromettantes ou un quelconque péché. C’est une manière de dire tout simplement veillez à être pieux. Et justement la piété sous-entend, entre autres, de veiller à ne pas laisser le blâmable prendre le dessus tout en faisant en sorte que le convenable se répande sur terre. On rapporte que Abou Bakr, alors Calife, grimpa un jour sur la chair du prophète et prononça le discours suivant:

Vous lisez certainement ce verset et vous l’interprétez sûrement de manière erronée. Ô croyants ! Vous êtes responsables de vous-mêmes ! Quiconque s’égare ne vous nuira point si vous, vous prenez la bonne voie. Or, j’ai entendu le Prophète dire: Quiconque voit une personne agir injustement et ne lui en fait pas la remontrance se met en porte à faux avec Dieu, qui risque alors de le châtier

Ainsi, ordonner le convenable et interdire le blâmable est une nécessité jusqu’au moment où il devient impossible de le faire. A ce moment là, le croyant est autorisé à tirer sa révérence. En effet, on rapporte qu’un bonhomme vint un jour demander à un compagnon, du nom de Abou Omayya Chaabani, le sens de ce verset. Il lui répondit: J’ai posé cette même question à un fin connaisseur. Je l’ai posé au Prophète lui-même qui m’a dit: soyez vigilants, ordonner le convenable et interdisez le blâmable jusqu’au jour où tu verras les gens suivre le faux, n’en faire qu’à leurs têtes, préférant de facto la vie ici-bas et estimant leur façon de voir comme indiscutable, à ce moment là seulement, retire toi de la vie publique car sachez que l’avenir vous cache des jours difficiles où l’endurance ressemble à un véritable brasier. Celui qui arrive à s’y faire entendre sera rétribué comme cinquante parmi vous. Il est donc clair que l’application de ce verset passe par le fait de fournir tous les efforts permis et d’emprunter tous les moyens légaux pour mettre les gens sur les rails de la guidance de Dieu. Après quoi quiconque s’abstient de répondre de positivement à l’appel, assume pleinement ses responsabilités. Ainsi quand quelqu’un n’est pas disposé à écouter une exhortation il n’est pas indiqué de l’y obliger car cela pourrait entre autres avoir un effet pervers et non celui escompté.

Dans un autre registre d’interprétation, rapporté à Ibn Khouwayz mindad, ce verset inciterait les croyants à ne pas s’occuper des défauts des autres et d’essayer à en faire toute une histoire. Il est plutôt indiqué de faire en sorte que chacun cherche la perfection en veillant à être en concordance avec les prescriptions divines. Sur ce, El Kortobi dit dans son interprétation du Saint Coran :

Ordonner le convenable et bannir le blâmable ne devient obligatoire que quand un résultat positif est susceptible d’être atteint. Par contre, si l’action risque d’aboutir à un effet pervers pour celui qui l’entreprend ou a fortiori pour la communauté il vaut mieux s’en abstenir

Et c’est pourquoi nous disons franchement et à haute voie que la manière terroriste de répandre l’Islam est tout à fait inacceptable au vu des préceptes de ce même Islam. On ne peut se permettre de tuer des innocents sous prétexte que, parmi eux, il existe probablement un coupable. Et quand bien même ce coupable serait parmi eux, la logique de l’Islam voudrait qu’il soit identifié, puis appréhendé, puis jugé de la façon la plus impartiale possible avant d’être châtié. Il faut même, si possible, lui donner toutes les chances de se repentir. Car la vocation de l’Islam est de récupérer tous ceux qui peuvent être récupérés. Et si jamais il est nécessaire d’arriver au stade du châtiment, il sera châtié pour son crime uniquement et d’autres que lui ne pourront en aucun cas être châtiés pour ce que lui, a fait. L’Imam Ali ibn abi Talib demanda à ses proches et à ses disciples après qu’il eut été poignardé d’user de clémence envers son assassin et de ne point tuer quelqu’un d’autre de sa famille pour le venger. En d’autres termes, il demanda l’application de la loi du Talion et rien d’autre et une fois seulement que le criminel ait été franchement identifié. Certains diront: mais avec cela des erreurs de jugement et non des moindres peuvent avoir lieu et combien de coupables échapperont alors à la justice humaine. Nous répondrons, « qu’à cela ne tienne », jamais ils n’échapperont à celle de Dieu qui est pour ainsi dire infaillible..

إِلَى اللهِ مَرْجِعُكُمْ جَمِيعًا فَيُنَبِّئُكُم بِمَا كُنتُمْ تَعْمَلُونَ {105}
C’est vers Allah que vous retournerez tous; alors Il vous informera de ce que vous faisiez

Le retour final se fera vers Allah, et chaque personne, soit elle coupable ou victime sera informée du détail de ses actions et justice totale sera rendue. Ce que nous avons dit jusqu’ici pour les individus est valable également pour les groupes de personnes et communautés. La communauté musulmane est appelée à prêcher la bonne parole sur terre mais si les obstacles viennent à se dresser contre elles de tous côtés elle devra persévérer sans craindre d’être rendue responsable de la non réponse des autres. Le plus important étant de faire le nécessaire et de s’acquitter de ses obligations sans plus. Que les esprits soient donc tranquillisés et que la confiance en Dieu dans le cœur des croyants règne à tout jamais.

S'élever avec le Coran