Questions inutiles!

Le quatorzième appel adressé aux croyants dans le chapitre de la table servie est intimement lié à sa circonstance de révélation. On rapporte qu’un compagnon demanda un jour au Prophète: qui est mon père? Le messager de Dieu désigna alors son véritable géniteur et non celui dont il était connu être le fils. On imagine qu’un silence glacial s’ensuivit. Un autre homme intervint et dit: ô messager de Dieu, peux-tu m’indiquer mon sort dans l’au-delà, et la réponse fut, on ne peut plus, navrante et douloureuse. Enfin un troisième, du nom de Abdallah Ibn Houdhafa, connu par ses plaisanteries mais aussi par son attachement indéfectible au messager de Dieu, reprit la question du premier intervenant, mais cette fois-ci fort heureusement le prophète répondit dans le sens de ce qui était connu de tous. La mère de Abdallah qui assistait à la discussion rétorqua à l’adresse de son fils: quel audace! N’as-tu pas eu peur que ta mère ait contracté par le passé, ce que les femmes faisaient du temps de l’ignorance ? Imagine dans quel pétrin tu nous aurais mis si jamais le Prophète avait contredit mes dires sur l’identité de ton père ! Mais Abdallah tout confiant répondit : je jure par Dieu que s’il avait dit que mon père était un esclave, je l’aurais accepté de tout cœur et je me serais fais son fils sans discussion. Dieu dit :


يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُواْ لاَ تَسْأَلُواْ عَنْ أَشْيَاء إِن تُبْدَ لَكُمْ تَسُؤْكُمْ

103. Ô croyants! Ne posez pas de questions sur des choses qui vous mécontenteraient, si jamais elles devaient vous être divulguées

La révélation était toujours en cours, et certaines choses tues par effet tabou ou autre pouvaient bien, et à tout moment, être dévoilées. Pourquoi donc faire en sorte qu’elles le soient en posant des questions inutiles alors qu’Allah nous en a fait grâce..

وَإِن تَسْأَلُواْ عَنْهَا حِينَ يُنَزَّلُ الْقُرْآنُ تُبْدَ لَكُمْ عَفَا اللهُ عَنْهَا وَاللهُ غَفُورٌ حَلِيمٌ {101}
Si vous vous posez des questions à leur sujet, tandis que le Coran est en cours de révélation, elles risquent de vous être divulguées. alors qu’Allah vous en a fait grâce. Allah est Pardonneur et Indulgent.

D’après d’autres sources, ce verset fut révélé juste après celui où le pèlerinage a été prescrit. Un bonhomme demanda alors au prophète si le hadj devait avoir lieu tous les ans. Le Prophète ne répondit que lorsque la question fut répétée trois fois. Il répondit alors, manifestement gêné par l’insistance du monsieur : « si j’avais dit oui le hadj serait devenu obligatoire chaque année pour chacun d’entre vous, et alors vous n’auriez pas pu vous y conformer ce qui vous aurait valu d’être des infidèles ». Dans un autre hadith le Prophète dit: « Soyez patients tant que je ne dis rien (à propos des prescriptions de la religion) car, en vérité, ce qui fit courir vos prédécesseurs à la perte sont leurs divergences à propos de leurs prophètes et le nombre incalculable de questions qu’ils leur posaient. Aussi, si je vous déconseille une chose délaissez là et quand je vous prescris une autre appliquez en uniquement ce dont vous êtes capables ». La question qui se pose maintenant est: la révélation ayant été complétée puis parfaite par Sidna Mohammed  et puisque le Coran n’a plus lieu d’être révélé, l’application de ce verset court-elle toujours ? La réponse est oui. Comment çà dirait-on ? Deux réponses peuvent être avancées :

  • La première est qu’après le décès du Prophète les compagnons et les générations qui suivirent continuèrent à s’abstenir de poser des questions dans le domaine du fikh se contentant de ce qui avait été abordé du temps du prophète craignant par là de tomber dans l’impasse ou d’être dirigés vers des divergences à même d’engendrer des conflits inutiles. Ceci ne peut être que plus vrai de nos jours. Aussi en bons musulmans il faudrait nous garder de tergiverser sur des questions pour lesquelles Allah a délibérément laissé le jeu à la réflexion. Nos ancêtres avaient très bien compris la chose. Les différentes écoles sunnites virent le jour mais jamais, ô grand jamais, les fondateurs de ces écoles ne furent ennemis les uns des autres. Bien au contraire, ils se partageaient le savoir entre eux, n’étaient pas d’accord sur certains points, mais cela n’enlevait rien à leur amitié. Le verset court donc toujours puisque chacun d’entre nous qui voudrait poser une question devrait s’en abstenir dans les cas où elle pourrait engendrer un quelconque conflit, sauf si bien sûr la nécessité de la poser est incontournable pour une raison ou une autre.
  • La deuxième réponse est que le verset court toujours en ce sens que dans une communauté donnée il est préférable de s’abstenir de poser des questions sur des choses personnelles dans le seul et unique but de compromettre tel ou untel. Autrement dit, à chaque fois que l’on peut éviter de compromettre quelqu’un et passer sous silence ses déboires il faut le faire. Le Prophète dit d’ailleurs: Abandonnez l’application des punitions quand vous êtes dans le doute
  • Car, en effet, il se peut parfois que l’on mène une action jusqu’au bout puis de ne pas être content du résultat et ne pas pouvoir pour autant faire marche arrière. Ce genre de situations engendre des frictions qui peuvent à leur tour générer des dissensions dont on aurait pu se passer. L’expérience des prédécesseurs est là pour en témoigner..


    قَدْ سَأَلَهَا قَوْمٌ مِّن قَبْلِكُمْ ثُمَّ أَصْبَحُواْ بِهَا كَافِرِينَ {102}

    102. Certains avant vous avait posé des questions similaires puis, devinrent de leur fait mécréants

    Nombre de peuplades demandèrent certaines choses à leurs prophètes et quand elles leur furent données ils se replièrent sur eux mêmes et traitèrent les messagers de Dieu de menteurs, d’imposteurs ou autres escrocs. Le peuple de Saleh par exemple lui demanda de leur faire sortir de sous terre une chamelle selon une description bien précise. Il pria alors Dieu de la lui donner et leur vœu s’exauça mais ils ne crurent pas en lui pour autant.

    De même les apôtres demandèrent à Jésus de leur octroyer de par Dieu une table servie prête à la consommation. Ce qu’il fit, après les avoir mis en garde contre la mécréance, mais certains parmi eux trouvèrent le moyen de renier le prodige.

    Quand on demande une faveur, une promotion ou tout autre distinction il faut être capable d’en assumer les conséquences, en toute responsabilité, sinon il vaut mieux s’en garder. C’est de ce genre de situations qu’il s’agit et qu’il faudrait éviter. Et c’est pourquoi l’application du verset est toujours de mise. Puisse Dieu nous accorder le mérite de la bonne interprétation.

    S'élever avec le Coran