Ennemis de Dieu!

Le soixantième chapitre du Coran, appelé chapitre de l’éprouvée ou celle qui éprouve comporte, lui aussi, malgré sa brièveté trois appels célestes, tout comme celui de la discussion. Il s’agit d’un chapitre typiquement médinois qui traite de problèmes purement sociaux. Le premier de ces appels revient encore une fois sur l’affaire des alliances que nous avons évoquée à plusieurs reprises tout au long de ce merveilleux voyage en compagnie des appels célestes. Que nous apporte donc celui-ci?

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا لَا تَتَّخِذُوا عَدُوِّي وَعَدُوَّكُمْ أَوْلِيَاء تُلْقُونَ إِلَيْهِم بِالْمَوَدَّةِ
1. Ô croyants ! Ne prenez pas pour alliés Mes ennemis et les vôtres, leur offrant l’amitié,

A priori la mise en garde et la formule utilisée ne changent pas: « ne prenez pas pour alliés » sauf qu’ici quand on y réfléchit soigneusement on se rend compte qu’elle est plus large utilisant une notion nouvelle qui est celle de l’ennemi alors qu’auparavant les concernés étaient nommément cités. On se souvient que dans le chapitre de la famille d’Amram, aussi bien à propos de l’obéissance que lorsque les alliances ont été évoquées, la mise en garde avait visé les mécréants. Ensuite, elle a fait allusion aux gens du livre que ce soit dans ce même chapitre de la famille d’Amram ou dans le chapitre de la table servie qui se voit comporter un autre appel mettant en garde contre le fait de s’allier aux hypocrites. On rapporte que la révélation de ce verset intervint lorsqu’un compagnon du prophète du nom de Hateb ibn abi Baltaâ se rendit coupable de trahison. C’était dit-on, alors que le messager de Dieu se préparait pour effectuer le pèlerinage de la Omra en l’an VI de l’hégire. Hateb, qui avait eu vent de l’affaire parmi ceux qui furent mis dans le secret, et étant donné qu’il avait encore quelques associés parmi les mecquois, crut bon de prévenir les qorayshites de l’imminence d’une éventuelle attaque musulmane, et ce, non pas dans le but de trahir délibérément ses coreligionnaires mais uniquement dans une tentative de protéger les biens qu’il conservait encore chez eux. Heureusement, le prophète fut prévenu de la situation à temps par l’archange Gabriel et envoya illico Ali Ibn Abi Taleb, avec deux autres compagnons, récupérer le courrier en question et qui se trouvait en possession d’une femme qui venait de quitter Médine. Quand ils la rejoignirent à l’endroit que leur avait indiqué Sidna Mohammed, elle nia avoir quoique ce soit sur elle, mais d’un ton menaçant Ali ibn abi Talib jura que le prophète ne pouvait mentir et que si elle ne restituait pas la lettre, il la déshabillerait pour la retrouver, puis l’exécuterait. C’est ainsi qu’elle leur confia le petit papier signé par Hateb lui-même et dans lequel il mettait en garde Quraysh contre le venue des musulmans. Quoiqu’il en soit Hateb se repentit et demanda pardon au prophète, arguant du fait que son intention n’était, comme nous l’avons déjà annoncé, nullement de trahir mais seulement de protéger ses biens. Omar, connu pour son intransigeance, demanda toutefois au prophète de le condamner à mort en qualifiant Hateb d’hypocrite mais le messager de Dieu, par sa clémence légendaire et son expérience de grand visionnaire, se tourna vers ibn Khattab et lui dit: « Aurais tu oublié qu’il a combattu le jour de Badr. Ignorerais-tu qu’Allah a agréé tous ceux qui ont participé à la bataille de Badr en leur disant: faites donc ce que bon vous semble, Je vous pardonne! ». Il faut rappeler ici que Hateb ibn abi Baltaâ faisait partie lui aussi de la famille des émigrés et qu’il avait été lui-même expulsé de la Mecque au moment de l’hégire.

La deuxième particularité de cette mise en garde contre les alliances aux non musulmans est qu’ici elle est tout à fait argumentée sachant qu’elle vise les qorayshites et puisqu’elle est corrélée à au moins deux raisons :
– La négation claire de la révélation divine, dont ce rendent coupables les non musulmans qu’ils nous interdit de prendre pour alliés, correspondant bien sûr à une mécréance globale qui justifie le statut d’ennemi.
– L’exclusion impitoyable des néo-musulmans de leur logis d’origine puisqu’ils ont du s’expatrier auparavant de leur nation uniquement pour des raisons de croyance et de foi.

وَقَدْ كَفَرُوا بِمَا جَاءكُم مِّنَ الْحَقِّ يُخْرِجُونَ الرَّسُولَ وَإِيَّاكُمْ أَن تُؤْمِنُوا بِاللَّهِ رَبِّكُمْ
alors qu’ils ont nié ce qui vous est parvenu comme vérité. Ils expulsent le Messager et vous-mêmes uniquement parce que vous croyez en Allah, votre Seigneur.

Comment peut-on effectivement en tant que croyant se rendre responsable d’un réel acte d’espionnage, en faveur d’un adversaire ou d’un ennemi, qui non seulement persiste dans sa mécréance mais qui possède comme antécédent d’avoir délibérément expulsé le prophète de chez lui avec toute une cohorte de musulmans, uniquement parce qu’ils ont jugé utile de croire en Allah comme unique Seigneur?! Ce verset a donné lieu a une large discussion parmi les érudits du fiqh, pour ce qui est de la punition à infliger à l’espion. Si l’espion ennemi ne fait pas l’objet de divergence quant à la nécessité de son exécution, l’espion musulman qui ne renie pas sa foi mais qui se met au service de l’ennemi, fait quant à lui, l’objet de controverse en fonction du nombre de récidives dont il s’est rendu coupable. S’il persiste et signe, il est alors considéré comme le premier alors que s’il se repentit ou qu’il se trouve dans la même situation que Hateb la règle est plutôt de tempérer le jugement. Tous ces détails sont toutefois du ressort des livres du fikh et ne sauraient être exposés dans ces lueurs.

إِن كُنتُمْ خَرَجْتُمْ جِهَادًا فِي سَبِيلِي وَابْتِغَاء مَرْضَاتِي تُسِرُّونَ إِلَيْهِم بِالْمَوَدَّةِ وَأَنَا أَعْلَمُ بِمَا أَخْفَيْتُمْ وَمَا أَعْلَنتُمْ وَمَن يَفْعَلْهُ مِنكُمْ فَقَدْ ضَلَّ سَوَاء السَّبِيلِ {1}
Alors que vous êtes sortis lutter pour Ma cause et rechercher Mon agrément, leur témoignerez-vous secrètement de votre amitié, or Je connais parfaitement ce que vous cachez et ce que vous divulguez ? Et quiconque d’entre vous le fait sciemment s’égare du droit chemin.

Comment donc peut-on se rendre coupable de ce genre de trahison alors que l’on prétend défendre telle ou telle couleur. Alors qu’a priori on a tout abandonné pour la cause que l’on vient trahir. Le paradoxe est on ne peut plus clair. N’est ce pas là un comportement purement hypocrite ou du moins de nature hypocrite? Heureusement donc pour Hateb, dont la motivation dans la gaffe qu’il a commise était purement matérielle et que sur le plan de la foi il fut reconnu irréprochable. Gare à lui toutefois s’il s’avise de recommencer car une fois n’est pas coutume!

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